Henry Dunant: un «artisan de paix» plus que jamais d’actualité dans un monde de prédateurs!

lundi 01 décembre 2025

Le dimanche 30 novembre, un spectacle proposé à l’Eglise évangélique de la Pélisserie a permis d’organiser une journée autour de Henry Dunant (1828-1910), fondateur de la Croix-Rouge et premier Prix Noble de la paix en 1901. Serge Carrel, pasteur dans l’Eglise évangélique de la Pélisserie et animateur du FREE COLLEGE, a donné cette prédication lors du culte de cette journée spéciale.

Heureux les artisans de paix, car ils seront appelés fils de Dieu !

Matthieu 5.9

 

13Mais maintenant, par l'union avec Jésus Christ, vous qui étiez alors loin, vous avez été rapprochés par le Christ qui a versé son sang. 14Oui, c'est lui qui est notre paix, lui qui a fait de ceux qui sont Juifs et de ceux qui ne le sont pas un seul peuple. En donnant son corps, il a abattu le mur qui les séparait et qui en faisait des ennemis. 15Il a annulé la Loi avec ses commandements et ses règlements, pour former avec les uns et les autres, un seul peuple nouveau dans l'union avec lui ; c'est ainsi qu'il a établi la paix. 16Par sa mort sur la croix, le Christ les a tous réunis en un seul corps et il les a réconciliés avec Dieu ; par la croix, il a détruit la haine. 17Le Christ est venu annoncer la bonne nouvelle de la paix, la paix pour vous qui étiez loin et la paix pour ceux qui étaient proches. 18C'est en effet par le Christ que nous tous, ceux qui sont Juifs et ceux qui ne le sont pas, nous avons libre accès auprès de Dieu, le Père, grâce au même Esprit saint.

Ephésiens 2.13-18

 

Peut-être est-il entré ici dans la chapelle de la Pélisserie ? Peut-être a-t-il assisté à un culte ou à une rencontre ici, dans ce lieu ? En tout cas, il est sûr qu’il a marché dans le quartier. Il a dû marcher dans la rue Jean Calvin. Il a dû monter la rue de la Pélisserie à un moment ou à un autre de sa vie d’enfant, d’adolescent ou d’adulte…

Henry Dunant, premier prix Nobel de la paix en 1901, fondateur de la Croix-Rouge, auteur de « Un Souvenir de Solférino », a vécu dans ces murs de Genève. Il est né en 1828 à une centaine de mètres d’ici, rue Verdaine. Il a fréquenté différents lieux chargés d’histoire de cette vieille-ville de Genève : la chapelle de l’Oratoire, la salle de l’Alabama… Il a vécu parmi des gens qui, durant cette première moitié du XIXe siècle, avaient redécouvert ici, dans cette ville de Genève, la saveur d’un Evangile qui change les vies, qui réoriente les consciences et qui les fait entrer dans une vie nouvelle, habitée par le désir de suivre Jésus de Nazareth, en authentique disciple.

 

« Heureux les artisans de paix »

« Heureux les artisans de paix ! » C’est le septième « Heureux » des Béatitudes… Ce fameux discours que Jésus adresse à ses disciples qui ont tout abandonné pour le suivre, mais qu’il adresse aussi à la foule qui boit ses paroles… Les Béatitudes, on les découvre en ouverture de ce que l’on appelle communément le Sermon sur la montagne, au chapitre 5 de l’évangile de Matthieu. « Heureux les pauvres en esprit… Heureux ceux qui pleurent… Heureux ceux qui sont doux… Heureux ceux qui ont faim et soif de justice… Heureux ceux qui sont compatissants… Heureux ceux qui ont le cœur pur… Heureux les artisans de paix… » A ces 9 « Heureux », Jésus, parce qu’il est là, parce qu’au travers de lui se manifeste le Règne de Dieu, bouleverse nos perspectives et nous offre un bonheur paradoxal… A ces neuf « Heureux », Jésus associe diverses promesses : posséder le Règne de Dieu, être consolés, hériter la terre… être appelés fille ou fils de Dieu.

Souvent, on considère Jésus, et notamment quand on le découvre au travers du Sermon sur la montagne, comme un maître de sagesse, comme le promoteur d’une morale à pratiquer… En fait ! Jésus, c’est beaucoup plus que cela ! Jésus, c’est avant tout une personne à rencontrer personnellement, une personne qui, dans le face à face de la rencontre aujourd’hui encore, se donne à ressentir, à découvrir comme quelqu’un de vivant et d’actif dans ce monde au travers de nos mains, au travers de nos cœurs, au travers de notre intelligence…

 

Henry Dunant, un homme rencontré par le Christ

En homme porté par le Réveil de Genève, ce mouvement de renouveau au sein du protestantisme francophone du début du XIXe siècle, Henry Dunant a dû faire cette expérience du Christ présent dans sa vie, de ce Christ vivant qui parle à son cœur dans la prière et dans l’écoute de sa voix. Parce qu’avant d’apporter une contribution décisive au lancement de la Croix-Rouge, Henry Dunant participe au développement de l’Union chrétienne de jeunes gens, de ces groupes bibliques qui se retrouvaient en francophonie, puis au-delà, pour prier ensemble, pour lire un passage de la Bible et nourrir une foi qui affirmait la divinité de Jésus, sa mort et sa résurrection pour le salut de chacune et chacun. Avant de se lancer dans l’aventure Croix-Rouge, au début des années 1850, Dunant a donc sillonné l’Europe pour encourager à la création de ces petits groupes. Il a entretenu avec leurs responsables une abondante correspondance, par des circulaires, afin de nourrir leur foi, de les encourager à vivre une vie de disciple. Dunant a tissé un réseau de jeunes prêts à relever les défis du témoignage chrétien : de l’annonce de l’Evangile autour d’eux et à l’endroit de personnes pas du tout touchées par l’Evangile.

 

Artisans de paix : une traduction concrète des Béatitudes

« Heureux les artisans de paix… » On pourrait aussi traduire : « Heureux les fabricants de paix… » En grec littéralement, c’est « faiseurs de paix »… eirénopoioi… un pluriel ! Un tel adjectif renvoie à quelque chose d’actif. Il ne s’agit pas simplement d’une disposition intérieure comme dans « Heureux les pauvres en esprit » ou « Heureux les endeuillés » ou « Heureux les doux… » Non, la foi s’est mise en route à la suite de ce Jésus qui est rencontré comme le Sauveur et le Seigneur. La spiritualité se fait travail en vue de la paix. Et ce travail pour la paix est une traduction concrète des dispositions intérieures qui sont valorisées jusqu’ici dans ces Béatitudes : la pauvreté en esprit, la tristesse devant la condition d’humain en échec face à Dieu, la douceur parce que l’on sait que l’on n’est pas soi-même à l’origine de son salut… Cette découverte de la condition du disciple rend à même de fabriquer, de faire la paix, d’être artisan de paix autour de soi…

 

Henry Dunant en « touriste » à Solférino

En 1859, Henry Dunant a 31 ans. Il s’est lancé dans le monde des affaires, comme plusieurs membres de sa famille avant lui. Il fait du business en Algérie où il achète des terres afin d’y cultiver des céréales et de les moudre. Mais le terrain manque pour parvenir à faire de ce business quelque chose de rentable. Vu que l’Algérie est colonie française, il cherche le contact avec Napoléon III afin que ce dernier lui accorde un supplément de terre dans la région de Sétif… L’empereur Napoléon III est en Italie. Il y mène une guerre contre l’Autriche et, le 24 juin, la bataille décisive éclate sur un front de 16 kilomètres près de Solférino, au sud du lac de Garde. Environ 350'000 hommes se font face. Le bilan est effroyable : 6000 morts et 40'000 blessés. Napoléon III est déclaré vainqueur.

Ce 24 juin, Dunant n’est pas sur place. Il y arrive seulement le soir et cette sorte de « touriste » qui est là pour plaider la cause de ses affaires auprès de l’empereur des Français, au vu du carnage, se transforme en aide-infirmier. Avec l’aide de femmes de la région, il vient au secours de tous les blessés, sans distinction entre les protagonistes du conflit, selon l’expression « Tutti Fratelli », « Tous frères ». Rapidement, Dunant se transforme en organisateur des secours. Il fait venir de plus loin de quoi soigner les blessés. Il lance aussi un appel à l’aide à la comtesse Valérie de Gasparin, une femme marquée par la spiritualité du Réveil. Cette femme d’envergure va relayer son appel jusque dans les médias genevois et parisiens. Des étudiants de la Faculté de théologie, nouvellement créée, de l’Oratoire, entre autres, se mettent alors en route pour l’Italie afin de répondre aux sollicitations de Dunant.

Henry Dunant ne reste pas longtemps sur place, puisque mi-juillet, semble-t-il, il est de retour à Genève. Mais ce qui distingue Dunant des autres personnes qui vont porter secours à ces blessés de guerre, c’est qu’il ne va pas en rester à l’attitude du bon Samaritain, ce qui est déjà pas mal. Dunant va réfléchir à ce qui pourrait être entrepris à l’avenir pour éviter que les blessés de guerre soient laissés à l’abandon sur le champ de bataille. Sans soins. Sans accompagnement minimum. Sans présence à leurs côtés, alors qu’ils agonisent…

 

Une définition biblique de la paix

Dans sa lettre aux Ephésiens, l’apôtre Paul nous explique que Christ est notre paix. C’est lui qui a fait de deux peuples hostiles, juifs et païens, un seul peuple… Un seul peuple qui, par le don que Jésus fait de sa vie, bénéficie d’un accès nouveau à Dieu le Père. La Bible est un livre qui retrace l’irruption de la violence dans le monde, de la Genèse à l’Apocalypse. De par leur désobéissance à Dieu, Adam et Eve connaisse l’exil du jardin d’Eden… Caïn tue son frère Abel par jalousie… La paix, le shalom, devient alors une aspiration qui traverse l’entier de l’Ancien Testament et que seul le Messie promis permettra de véritablement recevoir. Ce Messie, le Nouveau Testament, l’affirme, c’est Jésus, le prince de la paix, notre paix.

En nous connectant à la personne de Jésus, en le priant et en l’adorant comme Seigneur, nous recevons cette paix. Comme lorsque votre voiture électrique est branchée à la borne de recharge, vous rechargez vos batteries de l’énergie nécessaire pour rouler comme artisan de paix, comme fabricant de paix. La paix reçue ainsi de la part de Dieu rejaillit sur la paix que nous sommes appelés à « fabriquer » dans nos relations les uns avec les autres, dans l’Eglise, dans la société et dans le monde.

Jésus a tout fait pour notre salut. Plus besoin d’élever des performances religieuses pour être accepté par Dieu. Plus besoin d’utiliser autrui pour se montrer à soi-même que l’on est quelqu’un. Plus besoin de se laisser anéantir par la culpabilité parce que j’aurais manqué à mes devoirs… Jésus m’offre son pardon. Par sa mort sur la croix, il m’a acquis la paix avec Dieu le Père.

Henry Dunant, enfant du Réveil de Genève, a réalisé cela dans sa vie. Il a réalisé que le Christ était sa paix et que, par conséquent, il pouvait répandre cette paix autour de lui, en devant un véritable bâtisseur de paix.

 

Dunant actif pour changer le monde de la guerre

En novembre 1862, Henry Dunant publie un livre qui raconte avec force détails le carnage auquel il a assisté à Solférino. Il aura fallu trois ans à Henry Dunant pour écrire ce livre… Trois ans, parce que Dunant est très occupé par ses affaires en Algérie, qui ne se passent pas aussi bien qu’il l’aurait souhaité. « Un Souvenir de Solférino » se compose de trois parties. La première retrace le déroulement de la bataille avec nombre de détails sur les blessures que les soldats se sont infligés les uns aux autres. La deuxième décrit l’état d’abandon des blessés qui sont pris en charge par les secouristes. La dernière partie exprime les questions que se pose Dunant par rapport à ce qui s’est passé dans cette bataille. Il esquisse aussi une série de propositions : « N’y aurait-il pas moyen, pendant une époque de paix et de tranquillité, de constituer des sociétés de secours dont le but serait de faire donner des soins aux blessés, en temps de guerre, par des volontaires zélés, dévoués et bien qualifiés pour une pareille œuvre ? » (Henry Dunant, Un souvenir de Solférino, CICR, p. 113). Il y va là de la création de sociétés de secours des blessés. Dunant évoque aussi la possibilité d’accorder un statut de neutralité aux différentes instances qui s’occupent des blessés de guerre : hôpitaux, véhicules de transport, infirmiers...

Avec son livre « Un Souvenir de Solférino », Henry Dunant effectue un travail de plaidoyer auprès de nombreuses personnalités politiques et de têtes couronnées de l’époque. Ce qui conduira en octobre 1863 à lancer les sociétés nationales de secours des blessés, qui deviendront les sociétés de Croix-Rouge nationales, puis, en août 1864, à la rédaction de la Première Convention de Genève. Cette convention demande que les blessés et les malades de guerre soient recueillis et soignés sans distinction de nationalité. Le signe de la croix rouge sur fond blanc est adopté et permet, dans un conflit, de rendre neutres les lieux et les véhicules qui l’affichent.

De personne touchée par les atrocités qu’il a rencontrées sur le champ de bataille de Solférino, Henry Dunant est devenu plus qu’un Samaritain qui prend soin des blessés. Il se mue en fabricant de paix, actif pour changer le monde de la guerre.

 

Promesse d’être fille ou fils de Dieu

« Heureux les artisans de paix, car ils seront appelés fils de Dieu ! » La septième béatitude que Jésus adresse à ses disciples et à la foule qui boit ses paroles, est assortie d’une promesse : celle d’être fille ou fils de Dieu.

S’inscrire dans ce mouvement de pacification de nos êtres intérieurs, de nos relations et du monde rejoint le projet rédempteur de Dieu pour notre humanité : pacifier un monde bouleversé par la rupture originelle, par la rupture de la communion avec Dieu, par le péché.

Ce qui est intéressant dans l’évangile de Matthieu, c’est que le thème « fille ou fils de Dieu » revient régulièrement. L’invitation à aimer ses ennemis est assortie de la conséquence : « Alors, vous serez fils de votre Père qui est dans les cieux » (Matthieu 5.45).

On peut aussi considérer à la suite de son baptême que Jésus apparaît comme le Fils bien-aimé, le Fils par excellence, lorsque la voix du ciel proclame : « Celui-ci est mon Fils bien-aimé ; c’est en lui que j’ai pris plaisir. »

Devenir « artisan de paix », c’est s’inscrire dans ce monde à la suite de Jésus, le Fils par excellence, dans ce mouvement qu’initie Jésus et qui souhaite offrir au monde la paix de Dieu. C’est accepter de prendre sur soi la violence des hommes, la violence dans nos relations, la violence dans notre société, pour que l’amour de Dieu soit manifesté au milieu de nous et remporte la victoire décisive sur le mal.

« Heureux les artisans de paix, car ils seront appelés fils de Dieu ! »

 

***

Aujourd’hui, nous vivons une journée spéciale Henry Dunant. Certains pourraient penser qu’il s’agit-là d’une simple coïncidence parce que le Chœur de la cathédrale nous a proposé son spectacle : « Henry Dunant : de la croix blanche au Croissant rouge ». Mais c’est plus que cela ! Parce que derrière Henry Dunant et sa résistance à la déshumanisation des blessés de guerre, il y a une lutte, un combat qu’il importe plus que jamais de mener contre toutes les déshumanisations dont les êtres humains sont victimes aujourd’hui. A l’heure de la multiplication des prédateurs dans ce monde, qu’ils soient économiques, financiers, politiques, sexuels, ce combat est plus que jamais d’actualité ! A la suite de Henry Dunant, nous pouvons nous brancher sur Jésus, méditer sa vie, sa mort et sa résurrection, nous inspirer des Béatitudes et du Sermon sur la montagne, et trouver l’énergie suffisante pour que dans chacune de nos situations de vie, à la maison, dans notre vie de famille ou de couple, au travail, dans la société et dans le monde, nous soyons des artisans de paix. De ces disciples de Jésus qui ont conscience, profondément, de leur identité de fille et de fils de Dieu, parce qu’ils participent à l’œuvre de paix de Dieu dans ce monde brisé.

Amen !

Serge Carrel

Serge Carrel est au bénéfice d’une formation double: théologique et journalistique. Après dix ans de pastorat en France et en Suisse romande, il a travaillé huit ans comme journaliste aux émissions religieuses de la RTS. Aujourd’hui formateur d’adultes et journaliste en lien avec la Fédération romande d’Eglises évangéliques (FREE), il essaie de tirer le meilleur parti de ce double ancrage. Que ce soit dans le cadre du FREE COLLEGE, de lafree.ch, de Vivre ou de la fenêtre chrétienne de MaxTV.

Formation reçue

Master en théologie (UNIL, 1986)
Centre romand de formation des journalistes (RP, 1996)

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